1. |
Les saltimbanques
02:57
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chaque jour est un ballet de folles
un ballet de folles, oui !
les dissonances se succèdent avec des velléités de climax et nous y travaillons !
chaque jour est un phénomène parlé
un phénomène parlé, oui ! crié gémi exprimé sans vergogne par les apprenties pythies que nous sommes
les popples et le supplice des mille couteaux enfin offerts à tous et la tête de bataille au bout d'une pique !*
chaque jour, ils nous demandent des indices
chaque jour, des indices, oui ! chaque jour est une lutte pour ne pas donner d'indices et conserver notre camouflage
pas d'indices, jamais, ils ne nous décortiqueront pas, ni vivants ni morts ni même entre les deux (mais nous leur livrerons des balivernes...)
chaque jour nous aiguisons nos métiers à tisser
nos métiers à tisser, chaque jour, plus affinés, prêts à effiler vos souvenirs et à en faire des objets
la recette de notre pure confiture c'est qu'il n'y a pas de recette à notre pure confiture et c'est ce qui la différencie de toutes ces autres choses qui sont faites
chaque jour, nous sommes les spectateurs des spectateurs
il nous faut, chaque jour, oui ! les observer pour en faire le spectacle
ceux qui vous disent le quotidien vous mentent car la fidélité n'apparaît que dans la transformation**
chaque jour, une nouvelle transe, c'est important de remettre des escaliers dans les escaliers
dans les escaliers, chaque jour, oui ! nous essayons de recréer la musique de séoul sans l'avoir jamais entendue
c'est notre ampoule insomniaque au cœur de l'horreur des damiers manufacturés, des outils, des photocopieurs et des guichets
la laideur, chaque jour, nous devons la bouleverser
la travestir, chaque jour, oui ! la laideur des automates
nous n'avons jamais voulu savoir comment marchent les machines afin de les utiliser
nos machines à nous rêvent
oui ! elles rêvent, elles se laissent disloquer par les élans de nos élans et elles se recomposent indifféremment
notre art nous dépasse et nous sommes si humbles que nous avons le droit d'être arrogants !
chaque jour, nous contesterons passivement ce qui est évident mais nous ne nierons rien
chaque jour, voyez par vous-mêmes, oui ! le prologue viendra après l'épilogue
car, croyez-le ou non, nous sommes dans le oui !
(trois coup)
« ce jour, taisons-nous », dit le grand prêtre et nous nous inclinons
car c'est le jour, oui ! le jour de la remise des éclaboussures !
le public n'est évidemment pas prêt et ce sera la clé de notre nuit des temps***
*offre soumise à conditions
**offre valable jusqu'au jour d'après
***offre pouvant être modifiée à tout moment et sans préavis par le contestataire
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2. |
fIllEs
06:29
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le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
se regardent dans la glace à croire qu'elles vont s'en tirer comme ça
ne parlent de rien ne fabriquent rien ne servent à rien ne sont pas vraiment là (ne sont pas vraiment réelles)
et même si – ce serait pareil
indécises les lèvres retroussées sur leurs incisives
disent oui
disent non
disent oui
disent non
allument avec leurs jupes ne savent pas ne savent rien alors on décide pour
les petites de dix ans
juste bonnes à marier
les petites de dix ans
juste bonnes à tailler
des pipes et du ménage (juste bonnes)
propriétés inaliénables des papas des époux des tenanciers de la maison-boutique
(et quelques sauvages égarées pour le viol
parce que ça calme les nerfs
parce que ça calme les nerfs)
rouages écroués grains de sables irritants dans la machine pourtant si bien huilée
qu'il convient de corriger
qu'il convient de battre
pour leur apprendre à répondre
pour leur apprendre à sourire
parce qu'on ne leur a pas enseigné tout ça pour rien (cérémonie du thé)
ce n'est pas pour oppresser ce n'est pas pour punir ce n'est pas
c'est juste la fratrie (les valeurs de la fratrie)
c'est juste la patrie (les valeurs de la patrie)
c'est juste l'angélolâtrie (les valeurs de l'angélolâtrie)
le bon fils contre la fille unique
qui gagne ?
le bon fils contre la fille unique
qui gagne ?
ensuite vieillissantes et puis laides et puis pénibles
usagées sans plaies visibles et qui pourtant se plaignent
de plus en plus indignes de confiance ambitieuses comploteuses
habiles comme des cartomanciennes enragées
passent leur temps à triturer le présent pour prévenir l'avenir
stressées soucieuses faiseuses
stressées soucieuses faiseuses
de bricoles insignifiantes
au lieu de faire simplement (des efforts) plaisir
mais tout ça c'était avant
c'était avant margaret et phyllis et rebecca
c'était avant
qu'on ne jette
les spermatozoïdes inutiles avec l'eau du bain
avant qu'on ne leur donne des pilules
avant qu'on ne célèbre leurs formes
avant qu'on n'organise des fêtes
avant qu'on ne remplace la pureté par la parité
dans le meilleur des mondes mixtes (avec des slogans)
juste des jolis reflets sur les couvertures
vogue vingt ans marie claire cosmopolitaine
juste des formes chaudes sous les couvertures
playboy entrevue penthouse hustler fhm
et on peindra des seins de vierges
sur le capot des voitures
et on peindra des seins de vierges
sur le capot des voitures
et quand elles se croient libres on les échange
et quand elles se croient libres on les échange
on les chope
pour se venger des affronts de nos années lycée (pom pom)
on se masturbe avec leurs chairs
et on fait des selfies à deux
et on les poste sur facebook (comme des trophées)
et on leur laisse croire que la cage est ouverte
et on leur laisse croire que la cage est ouverte
(alcool picole fins de soirées ébouriffées dix-sept ans consommées corbeille mort)
(à l'école picole fins de soirées ébouriffées dix-sept ans consommées corbeille mort)
on en laisse deux ou trois gouverner pour la paix
entre deux passes au hilton
comme un black à la maison blanche
entre le bronx et riker's island
tant qu'on peut les siffler dans la rue comme des petites chiennes
et que nul n'ose rien dire
et que nul n'ose rien dire
parce que ce n'est pas grave
parce qu'elles ne demandent que ça
parce que c'est dans leur nature
parce qu'il n'y a pas de pères célibataires
parce qu'il n'y a pas de femmes urologues
et de quelles
et de quelles
et de quelles filles parle-t-on ?
et de quelles
et de quelles
et de quelles filles parle-t-on ?
des filles qui saignent (objets sexuels)
des filles qui saignent (objets usuels)
des filles qui ne se plaignent pas
des filles qui saignent (objets sexuels)
des filles qui saignent (objets usuels)
des filles qui ne se plaignent pas
le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
le corps des filles
le sang des filles
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3. |
À bon entendeur
05:02
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tous ces gens qui m'ont souri
en inde, en chine, au cambodge et ailleurs
ces gens que dans mon pays cyberpropre et blancbitûme
l'on dit lumineux comme de bons sauvages et plus solidaires
que les briques de l'ego d'ici
tous ces gens, je ne sais d'eux qu'une chose :
ils ont sagement
accompli leur devoir une vie durant
plus solides que solidaires
plus laborieux que lumineux
tous ces gens, il faudrait les réhabiliter dans la mémoire des joies
mais peut-être que
peut-être que ça leur ferait plus de mal que de bien
ont fait tout ce que l'on attendait d'eux
il y avait toujours un mathématicien pour leur demander
des comptes et de réciter des mantras
et la liste était longue (ek, do, teen)
sont nés endettés par ceux qui les avaient conçus
ignorant dans leurs petits berceaux que pour chaque souffle
il faudrait suer
parce que la vie est un crédit avec intérêts
parce que l'éjaculation qui les a propulsés en ce bas-monde
représente un effort si colossal
que pour régler la note il faudra
s'échiner dur soixante-douze heures par jour et la nuit aussi
afin d'offrir une retraite à des parents
si méritants
qu'on ne songerait pas à les laisser
se dessécher seuls (taap kee lahar)
qui ont dû épouser le jour que l'astrologue avait déterminé pour eux
l'inconnu(e) que l'on avait sélectionné(e) pour eux
sur un catalogue (love, arranged by shaadi.com)
parce que les aînés savent, c'est certain
confectionner de l'amour à partir de rien
à qui le prêtre a juré qu'un dieu qu'ils ne rencontreront jamais
a dicté un livre à des hommes enterrés depuis longtemps
et qu'à la première occasion, les règles de ce livre
leur taperont sur les doigts (dharm)
qui devront sans faillir
faire à leur tour des enfants (plein)
parce que les enfants (plein) sont indispensables à la survie d'une lignée si honorable
que l'univers ne se remettrait pas de sa disparition
et comme ça, plus tard
tu auras toi aussi tes esclaves à toi tout à toi
à qui l'on a enseigné
que la joie n'est pas de ce gris monde
que la joie réside dans le respect des lois tacites
que la joie, c'est la piété filiale et un bâton d'encens planté dans l’œil
un emploi stable et un ventre bien rond (oooh yummy!)
qui n'ont jamais dansé
qu'aux cérémonies, qui n'ont jamais joui
qu'avec leurs mains, qui n'ont jamais ri
que de blagues pas drôles, qui n'ont jamais joué
depuis l'enfance
qui se sont depuis longtemps résignés
à l'idée d'être nés pour endurer, d'être nés pour
ne jamais resplendir, d'être nés pour
pourvoir et non pour voir, d'être nés pour
s'éteindre en famille, avec la satisfaction béate du devoir accompli (et un ventre bien rond)
pauvres gens qui ne sont pourtant pas
des gens pauvres non qui ne sont pas du slum
prends ton smartphone et tais-toi
on te sacrifiera sur l'autel
de la patrie, de la famille et du travail (jana gana mana adhinayaka, jaya hé...)
et ça ira bien comme ça, va !
ces pauvres bougres, ils me rappellent chaque jour (chaque jour)
que finalement, quoi qu'on en dise
la contre-culture est une exigence
que finalement, quoi qu'on en dise
un sang hippie coule dans nos veines
et que ceux qui voudraient
si hâtivement
enterrer la mémoire de mai 68
feraient mieux d'avoir une grande pelle pour creuser
et de me trancher d'abord la langue avec
parce qu'elle est longue et bien pendue et que je sais m'en servir
à bon entendeur...
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4. |
Étanchéité
06:31
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étanchéité des conséquences
cartographie perturbée
par des volontés biaisées
appropriation des idéaux
par d’inconséquentes apologies
excuses formatées
étanchéité des corps consumés
livrés aux ivresses
consuméristes
pornographies en lieu et place
d’un dénuement réel
des êtres
étanchéité de la foi
dieu fois deux égale quatre
aberrations théologiques
promesses de paradis ensanglantés
dégoulinants de déni
larmes du divin
étanchéité économique
morphosyntaxes névrotiques
de riches, de pauvres
crises existentielles en toile de fond
de la faim
diversité des détresses
étanchéité des mots
je dis blanc et tout le monde se vautre
dans le rouge
inégalité des antériorités
infantilismes barbares
des réincarnations juvéniles
étanchéité des douleurs
indifférence chirurgicale
ordination placée du beau
euthanasie du karma
purulence de l’ordre
serments d’hypocondriaques
étanchéité des drogues
pertes de repères livrées à elles-mêmes
purification des codes
flaques de vomi
innocences violées
puritanisme enflammé
étanchéité des voix
solitude collectivisée
urine dans le bain commun
dyslexie des volontés
baba-cools surdiplômés
prêtres pourpres ignorés
étanchéité des guitares
sans machines pour rythmer
leurs alchimies
préconçus triomphants
génération spontanée
de clones en robes noires
étanchéité des eaux
fœtus incapables de se reconnaître
entre œufs
aveuglement de ceux qui se croisent
sans savoir
qui ils sont
étanchéité des simplicités
étouffement des sages
par peur du meurtre
dépassement de soi condamné
empathie décriée
crimes imaginaires
étanchéité des fatigues syndicales
bicyclettes crashées dans les murs
travailleurs aveuglés
illusions délictorales
impossibilités répétitives
utopies séduisantes
étanchéité des hurlements
entre les immeubles marchent des aveugles
qui font semblant d’être sourds
téléchargement des principes
de révolutions virtuelles
sourire de bouddha
étanchéité du crescendo
jusqu’au chaos fait norme
jusqu’au trop quotidien
triste constat :
dans la mort, enfin, se dévoile
le silence ou l’errance
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5. |
2.0
08:28
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et si
nous nous enlacions les atomes, et si
nous chorégraphions les formes
lorsque l'homme
recompose l'homme
libres enfants de synthèse
il n'y a pas de fin de l'histoire
il n'y a pas de fin de la science
il n'y a pas de limites
il n'y a pas de boucles
il n'y a que le temps
nous transplantons l'essence du créateur
vers la créature
l'homme recréant l'homme à l'image de la machine
et la machine se recréant elle-même à l'image de l'homme
enivrés par la virtuosité de nos dialogues avec l'i.a.
nous enlaçons des androïdes en toute légalité
leurs cellules et nos nanomécaniques entremêlées
poésie du reboot
nous élaborons des bébés avec nos robots
nous nous pourléchons les babines synthétiques
devant l'harmonie des créatures
réinventées sans cesse
les races enfin transcendées
les langues, les cultes, les espèces même
les animaux cannibales certes, mais nous
nous nous nourrissons de chlorophylle
et les moustiques ont disparu depuis longtemps
écosystème 2.0
les automates livrés à eux-mêmes produisent
pendant que nous recalibrons nos équations
pendant que nous nous laissons aller
à concevoir des comptines inutiles
attachés à l'idée et non
à la nécessité
virtuels
nos organismes upgradés
nos labyrinthes neuronaux décryptés
uploadés, préservés
nous goûtons la liberté
d'être ou de ne pas être
un corps
être enfin
tout ce que nous voulons
être enfin
beaux
enfin
être
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6. |
Lorelei
17:50
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essoufflée, elle se retourne et s’emplit
d’immensités solaires
d’appréciations complexes
de cordes intérieures
de la brise et des feuilles rouges
qui tourbillonnent autour de son cou
petite pause méditative et bilan des
sucreries qui la composent
projets de réunification
réinvention perpétuelle
les yeux qui pétillent
les arbres qui enlacent
sa peau d’herbe
fantômime, elle se joue des tours et nargue
les gammes éthiques
les choix politiques
les images figées de ces familles
embourbées, pédophages
elle se libère des ligaments que ses ancêtres ont enfoncés
dans sa chair
elle regarde les miroirs de son manoir
contemple sa main, noire de charbon
crasse des antithèses avancées
par ses travailleuses
racines
il lui suffira donc
de purifier le temps
(interlude militaire 1)
la fausse attribution des réputations
cache-cache avec les loups
cache-cache avec les corps qui se meuvent
dans les artères et les cocktails
derrière la cruauté des uns
derrière la mesquinerie des autres
elle ne voit plus finalement
que les larmes des petits enfants
trahis
qu’ils étaient
« presque éveillée », se dit-elle
presque éveillée mais comme encore endolorie
cotonneuse, peut-être
il y a tant de fleurs et de coussins sur ce lit
tant de serpents chauds qui s’enroulent avec tendresse autour de ses bras
serpents roses, qui mordillent tendrement
« presque éveillée », murmure-t-elle
aux esprits qui l’accueillent en nuisettes
conseillers de ses songes à rebours
conseillers de cet instant précis et flou
lorsque l’âme flirte avec le véhicule
et qu’il est encore probable
de remonter un peu
la temporalité
d’un soi en devenir
grandes idées, petites mains
« difficile de bâtir
un monde meilleur », se dit-elle
parfois elle rit lorsqu’elle se souvient
que son propre bonheur
peut être une sorte de filament conducteur
pour les autres âmes
elle ne perçoit pas vraiment
le pourquoi d’un si impétueux
besoin de se connaître
elle-même
mais il y a une évidence
à peine cachée
prête à naître
lorsqu’elle est brave, ses rêves périssent
s’évaporent dans la vanité
vanité de volonté
vanité d’espérer autre chose
que le réel qu’elle peut toucher
et qui se prête aux jeux
ses désirs périssent car soudain
le réel
est son désir
un sourire paresseux
c’est son arme de guerre…
dans les chambres environnantes
des guerriers s’agitent, des mégères explorent et implosent
tous à tâtons, tous en train de gigoter
de chercher la nourriture
dans la penderie
leur boucan si souvent l’épuise
qu’elle peut bien laisser libre cours à sa fatigue
en ne faisant rien d’autre
que ce qui a du sens
un clignement d’œil et la voilà partie
un clignement d’œil et la voilà
décédée
ressuscitée
réinventée
prête à se moquer gentiment des guerriers
et des mégères
c’est le seul cadeau
qu’elle puisse leur faire
(interlude militaire 2)
« nous allons par-delà !
nous allons par-delà les paradigmes !
nous allons par-delà la vérité !
nous allons par-delà la science !
nous allons plus loin, plus vite, plus fort ! »
d’un geste vif, elle éteint la télé
(interlude militaire 3)
comme un parfum de combats incessants
la grâce et tout ce qui est délicat
provoque l’immédiat vomissement
des foules
alors parfois elle se cache
« est-il vrai, se demande-t-elle
est-il vrai que là-bas
des enfants meurent
à la guerre ? »
les prophéties de vie et de mort qui chaque jour
percent les oreilles des spectateurs
ces prophéties lui semblent à elle
la chambre de résonance
du cerveau humain
« si vous n’aviez pas tous ces fusils dans vos têtes, dit-elle
vos enfants ne mourraient pas »
bien sûr, personne n’écoute
charmante, sans colonne vertébrale
si légère que souvent les bourrasques l’emportent
(mais elle se plaît à flotter ainsi)
elle aime bien jouer
avec les bambins
avant qu’ils ne soient
compromis
avant que les insomnies de leurs aînés
n’aient déteint sur leurs paupières
elle caresse leurs cheveux et prie
pour que ces ébauches d’hommes et de femmes
ne se gâchent pas
parfois les graines deviennent d’autres comme elle
prêtres et prêtresses
voués à l’incompétence
et à la joie
lorelei n’est pas sirène
les marins qui se noient dans les sons cristallins
de l’épopée qu’elle fredonne
ne sont que dommages collatéraux
d’un envoûtement personnel
les veuves et les mères qui la maudissent ignorent
qu’elle est juste ensorcelée
par son propre chant
et qu’ainsi possédée
elle ne peut l’interrompre
elle est à la fenêtre du monde
il y a bien des rondes
qu’elle ne comprend pas
mais en dessous de chacun des cailloux qu’elle soulève
se cache une fourmilière
les économies sans fond qu’on lui conte
les spirales quotidiennes et les incessants débats
ne sont pour elle
que les infernaux symptômes
du psychotique ressac
collectif
vierges et apsaras
l’entendez-vous ?
entendez-vous le son voisé
de par-delà vos vitraux ?
vous délectez-vous de ses ballets ?
vous régalez-vous de ses prières ?
elle vous est dévouée
subjuguée
par les portraits de vous
que sans cesse elle esquisse
ses yeux translucides
fixés sur les toiles d’araignées
tarentelles enchevêtrées
synchronies de toutes ces choses
qui arrivent
ses yeux embués
par l’émotion qu’éveille en elle
la chaleur d’en haut
ce pilier de lumière qui chaque jour un peu plus
la traverse et la dresse
satisfaction immanente
canal du divin
essoufflée d’avoir tant ri
déjà en elle, elle devine
cette vieille femme tout occupée
à câliner un jardin
déjà en elle, elle entrevoit l’apaisement
de son linceul lorsque, enfin
elle quittera ce monde
le corps exténué par tant de voyages intérieurs
l’âme aspirée, tendue vers le tout
elle se souvient de la tristesse dans leurs yeux
elle se souvient de sa dernière pensée
d’un étonnement candide
« sont-ils tristes parce que je pars ?
ou parce qu’eux, ils restent ? »
(interlude militaire 4)
et soudain, elle seule est seule
tout ce qu’il y a autour
s’écroule sans bruit
petites poussières
elle marche dans les décombres
de l’humanité
livrée à elle-même
les attributions fausses
les conflits et les bombes
les guerriers et les mégères
leurs enfants voués à la catastrophe
les prophéties imminentes
rien de tout cela plus ne compte
rien du tout
pas lorsqu’elle regarde ainsi droit devant elle
et ne voit que des murs de verre
elle les traverse
lave les corps des défunts
embrasse les vivants
et s’en retourne au nid
« le cosmos est un vieil homme ridé », se dit-elle enfin
« et j’aime à compter ses rides
à déchiffrer les desseins sur sa peau »
lorsque, au bout du compte
tout est prononcé
chaque rituel accompli
afin de préserver chaque jour
l’équilibre des choses
lorsque, au bout du compte
la vie s’écoule à reculons
elle peut s’allonger
et retourner aux ritournelles
là-bas au loin
dans sa tête
petite fille, femme et vieille femme
elle ne sait guère laquelle des trois
précède l’autre
ainsi captivée par les cycles
sereine
elle s’assoupit
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