1. |
D&li&
02:38
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cordes déliées
en symphoniques délice
corps fatigué
de platoniques supplices
écoute et vois
le soi de soie matin
matins d’émoi
où sont les lapins ?
son tout doux
blanc perdu dans le néant
tordu, le cou
de ces jours dissidents
opéra rien
nourrit mes insomnies
bleuet fin
ne comprend journuits
incapable
de structurer le temps
juste aimable
blanc et pas amant
que puis-je ?
attendre et tendre vers
où suis-je ?
oubliés les hivers
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2. |
Labo2pr1cesses
04:55
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je suis un laboratoire de princesses
je récuse les archétypes les idées de
l’homme et de la
femme
je refuse d’être juste un type un sale type un type bien je refuse
de me mettre du tipp-ex éventé sur les yeux de me farder de testostérone et de
jouir en silence
je suis un exutoire de princesses
en moi des milliers de donzelles gémissent et crient m’intimant d’intimider
les porteurs de lieux communs de préjugés de prête-noms
m’intimant de remettre en question la question du
genre la question des
obligations la question de la
définition même et de me faire la plus belle pour aller
danser
je suis un inventaire de princesses il y a neige blanche et cendrille la belle au bois
dormant sans label sans se plier à quelques règles menstruelles et faisant fi du
féminisme le plus enragé
ce féminisme d’arrière-garde qui me défend de m’accuse d’atavisme et m’interdit me conspue pour mes
prétentions à faire
du sexe fort un sexe mitigé qui tantôt dodeline de la tendance
par ci tantôt par là
et tantôt pas
figure-toi que je suis femme aussi et ça je ne te laisserai
ni le nier ni me
l’enlever de la bouche
je suis un dévidoir de princesses en moi se dessine la silhouette des
sylvidres des
divas des
des itinéraires d’enfants pourris gâtés par la démesure de leur charme et qui s’autoconsacrent
apsaras loreleis sirènes et parfois même harpies charmeuses
je n’ai pas besoin de travestir ma panoplie non pas besoin
juste de m’habiller comme une idole de pacotille et de me
de me jeter dans la chorégraphie des animations tout ça en
technicolor merci
je suis une montée d’adrénaline une actrice de film érotique pour
minettes enragées câlinées matinées de contradictions apaisantes à
princesse lesbienne à heures perdues parce que j’aime bien mieux caresser des lèvres que de me
mettre à compter les poils et parce que
lesbienne oui pas pédé tantouze tarlouze je ne ferai pas de compromis entre vos
idées de la tendance et mon idée de l’expansion parce que
je puis être mâle et queer et une grande folle et bouffer des chattes et parce que
parce qu’être macho c’est tellement vingtième siècle et que j’ai toujours eu
un temps d’avance sur mon époque
je suis une idylle de princesses
métrosexuel animal urbain voué au glitter destiné à
à séduire les minettes avec des ruses de minettes et parce que je préfère rouler
des paroles que des mécaniques en me dandinant
comme ça quantique entre les trottoirs entre les clubs et les
cafés noirs entre les bouches de métro les bouches ouvertes béates
d’émerveillement et qu’est-ce qu’il a la classe !
(les humains se répartissent en deux classes différant par leurs propriétés collectives
les fermions nos gueules et les bossons dur pour payer
hors-castes, les princesses bichonnent leur rayonnement électromagnétique
parce que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tard et ce n’est pas moi, c’est la science qui le dit)
je suis un apogée de princesses
une apocalypse jetable et vous me ferez le plaisir
de la reconnaître pour ce qu’elle est sans me prendre par derrière pour ce que je ne suis pas et je vous invite
à sauter sans paradigmes à reconsidérer
vos équations
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3. |
Nia 1/ Jungle de toi
04:32
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je vis dans une jungle de toi
je suis une fenêtre ouverte sur nos fausses notes
chaque jour
est une nouvelle
chaque jour
répétition
chaque jour
d’un opéra
chaque jour
avorté
je m’efforce de ne rien faire d’autre que des mots
je m’efforce de ne pas
à pas je tourne autour du
potiron
je me force
digne et serein comme un archange en rut !
mes dents du fond baignent dans
nos ambivalences
nos jeux secrets
nos démences imaginaires
où sont les antibiotiques ?!
qui a caché l’antirobe ?!
intuition vaine/sixième sens h.s./médiumnité déglinguée
demain est néant
dramaturgie irrévélée
trajet d’y
irrévérente
le sens est déguisé en je capte que dalle
dé où ? sexe miamachina !
juste un puits d’amour répétitif
je m’interroge en attendant la neige
et toi, innocente choupette
tu ignores ton propre âge
tu te crois petite gamine
ha !
vieille âme
réchappée d’ères antiques
vers des lendemains cruciaux
un jour, tu sauras !
si tu étais autre chose
je lirais tes pensées
comme je lis les autres
mais tu es un mur de briques
et moi statue
réduite au statut néant
coucou de midwich
tes coucous font mes jours
tes inconnues mes équations
mathématique(s)
je me retiens
je n’effleure que
… (!)
j’effleure quoi ?
tes yeux ?
même pas sûr !
je tourne en rond dans une flaque inflammable
combustion spontanée
tu viens et reviens et tu restes
tu parles de lui
tu es avec moi
tu parles de lui
tu es avec moi
toujours présente indifférente
d’éternelle dernière nuit grave
en éternelle dernière nuit grave
(tue) mens à la santé !
je suis là
où est-il ?
il est ton ombre
je suis ton temps
mais l’éthique m’enchaîne
à un silence enragé
l’impatience déchire mes nuits
pourrit mon sommeil de poèmes impromptus
tu m’habites
tu me hantes
fantômette
exquise
j’aime bien, en fait
on saura quand l’eau se sera retirée…
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4. |
Nia 2/ Me perdre en toi
03:37
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pas vraiment désolé de t’aborder comme ça
de te tourner autour à chaque instant thé, de ne plus me contenter
de t’effleurer de mes yeux tachetés
pas vraiment navré de ne même plus être timide
j’ai passé l’âge d’avoir un âge, je suis juste assez lucide
je suis trop sage pour rester sage
j’ai comme envie d’acheter un billet
un aller simple plus ou moins
vers l’épiderme de ton épicentre, de manger toute une épicerie de toi
j’ai comme envie de faire avancer la science
de vérifier des théories chimiques
sur la manière dont tu griffes et tu mords
viens, je veux juste me perdre en toi
plutôt que de me perdre en moi-même
dans ma tête il y a cette voix
qui m’obsède et qui me dit qu’elle m’aime
à la télé ils parlent d’amour
leurs boites crâniennes débordantes de mots
à ce stade, je ne sais même plus
s’il y avait de l’amour avant toi
tu as fait de moi un créationniste
« et dieu créa la femme… en 1987 ! »
laisse-moi juste te faire un sort
t’épouser jusqu’à la prochaine cour de réincarnation
servons-nous de nos chairs, amor con carne
tu peux te lover petite chatonne ou bien jouer à catwoman
je veux juste jouer sans règles, juste jouer, juste jouer avec toi
réinventer d’hypnotiques et antiques rituels
viens, je veux juste me perdre en toi
plutôt que de me perdre en moi-même
dans ma tête il y a cette voix
qui m’obsède et qui me dit qu’elle m’aime
tous mes amis font des paris
sur des princesses de pacotille
et mes ex devenues nécrophiles
qui se vautrent dans des vieux qui puent
et toi qui joues aux billes avec un gamin sans voix
le monde se prend pour titanic ou c’est juste moi qui trippe ?
j’ai juste envie de te croquer croquette
pas juste une nuit, plutôt la moitié d’une éternité
j’ai juste envie de dire aux hôtesses de l’air
qu’elles sourient à un homme marié
j’ai juste envie de te toucher encore
de construire mon nid dans ton corps
viens, je veux juste me perdre en toi
plutôt que de me perdre en moi-même
dans ma tête il y a cette voix
qui m’obsède et qui me dit qu’elle m’aime
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5. |
Nia 3/ Hiroshima en août
06:18
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je vis dans une jungle de toi
ton sourire est ma guerre sainte
de toutes les causes
ta sérénité lève des armées de moi
des milliards de cellules
livrent des batailles épiques
pour cultiver cette terre
déjà conquise
je vis dans un nid douillet de toi
tapissé d’ambivalences et de silences
exosquelettes armures de sens interdits
l’envie de toi m’incarne et me détrousse
me submerge d’indécents détails
tes incisives entraperçues, tes lèvres retroussées
lorsque mes jeux désinvoltes
t’illuminent
je vis dans une mégapole de toi
peuplée par des hordes de toi
ton nom slogan scandé par les foules
ton visage célébré jusque sur
les vitraux des églises et les panneaux publicitaires
attraits d’intuitives perspectives
tes lignes de fuite font de moi un prophète
illégal
je vis dans un labyrinthe de toi
au gré du vent que j’appréhende, j’erre
ni ailleurs ni perdu, juste habité de tes
intentions tendres et uniques
nourri par l’espérance luminescente
d’une incarnation complète à te croquer
fruit défendu source de trouble jusqu’à ce que
légitimé soit mon jardin d’éden
je vis dans une immensité de toi
je veux planter ici les racines
d’une moisson d’herbes folles et de légendes païennes
traverser ta fameuse apocalypse et puis
faire de ton petit déjeuner ma prière du matin
te câliner comme un encens qu’on allume
t’encenser te caresser sans arrière-pensée
t’allumer comme un brasier cosmique
je vis dans une répétition de toi
ta vallée verte débordante de lianes
qui transpercent en boucle mon éther
sèment des ébauches de béatitude
l’idée sans la chair
me transforme en chats fous qui miaulent à ta porte
je suis un temple sans prêtresse
rempli de pèlerins figés
je vis dans un présage de toi
tout se mêle dans le continuum
jusqu’à cette indienne détrônée
son sari délavé, ses possibles écrasés
par ta naissance en moi
improbablement je veux
bâtir dès aujourd’hui ma hutte
puis filer à l’est avec toi
je vis dans une saga de toi
nourrie d’épopées mythiques comme
nos épaules qui s’effleurent, nos visages rapprochés
perception de tes hypothétiques attentes
et mon flou se multiplie, vomit une infinité
de points de suture possibles au suspense
ne te noie pas dans tes inavouables
nos baisers sont gravés dans la pierre
je vis dans un destin de toi
une inaltérable évidence
de nos parcours bénis, de nos douceurs et de nos
véritables
loin de nos cahiers les faux-semblants
si rares sont les vœux de bonté
en ce purgatoire de monde
qui d’autre que toi ? quoi d’autre que nous ?
je vis dans une malaria de toi
quelque chose de tropical et sans antécédent
chaque petit bout de peau promesse
d’un palais de plaisirs secrets
goûter cette peau de sable et plonger entre toi
m’abreuver en chœur avec
les licornes et les anges
les apsaras et les devas
je vis dans une faim de toi
insatiable curiosité quant aux harmonies
de tes plaisirs
nécessité d’en faire
la bande son de mon épopée
de ta nudité mon paysage
et de m’habiller avec
ta langue
je vis dans une gueule de bois de toi
dans la frigidité la plus totale à l’égard
des autres femmes
leurs détresses et leurs phéromones
leurs égocentres et leurs peines capitales
leurs sourires de glaces à l’eau
elles ne sont qu’enfants égarées
tu es la femme sauvage
je vis dans une nécessité de toi
cette pluie d’adhidaiva sur nous
boite à miel aux yeux des autres
le miel je l’offre mais la boite
je ne peux la partager qu’avec
une comme moi
une résidente
du havre véritable
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6. |
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je frôle sans arrêt
une panoplie qui n’est pas la mienne
j’abandonne de petites offrandes sur l’autel
des ineffables pacotilles
j’attends sans attendre
star dans les salles de bains des autres apôtre dans la cour
des miracles artificiels
hypothéqué par une certaine idée de tes lèvres
je pourrais me complaire et m’enivrer
des museaux minois qui me sourient la nuit
offrir un peu de tendre et de sacré
aux minettes effritées qui passent
mais j’ai autre chose en tête
contempler des limules et caresser des crocodiles
mystères, contrastes et karmas
un petit peu de toi, un petit peu de moi
tant de vies en amont
mais l’aval m’avale et ta langue
je vis sur les pétales d’un trèfle à vingt-sept feuilles
d’autant plus libre qu’appartenant à
je me nourris de mots et pourtant, soudain
je n’en ai plus besoin (je n’en ai plus l’usage)
les écrans montrent le temps qui passe et chaque seconde
m’en apprend l’abstraction
mes rues dégorgées de joie
étonnante étreinte de shiva
aquatique, inattendue, promesse tenue
lorsque par-dessus ça
vient la douce heure de toi
des vœux sans arrêt mais c’est juste si simple
si simple lorsque l’on sait
que mystères, contrastes et karmas s’accouplent en interdits
c’est un peu chaque matin lorsque
les premières notes de funk et mon premier café
c’est un peu l’instant d’avant l’aube et les apocalypses secrètes
que j’y devine parfois
je m’émeus juste d’harmonies
de cordes blanches et de murmures
et je nourris les oiseaux-mouches
qui se posent sur ta main
il n’est pas de théorie spéciale
pour expliquer la texture de la canicule (pour expliquer l’odeur de toi)
c’est juste une effraction de moi
l’envie de ronrons emmêlés
un poème sauvage ou quelque chose
je savoure juste, tu savoures juste, tout est si juste et juste si
mystères, contrastes et karmas
un petit peu de toi, un petit peu de moi
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7. |
Kira
04:31
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nous ne faisions que sauvegarder le verbe, nous ne faisons que
tricoter des petits slogans inconséquents, nous ne faisions
rien
que confisquer la nuit à ceux
à ceux qui n’en savaient rien faire
nous n’osions même pas non pas toucher à leurs heures de pointe
nous n’avions pas peur de nous cacher tels que nous étions
drapés d’inconséquences et de la
chaleur de nos radiateurs à bain d’huile
et nous n’avions pas honte de redouter le givre
ça, et les coups frappés à la porte
aux heures inattendues
retiens ton temps
retiens mon temps
nous n’aspirions pas à être à côté de la plaque, mais la plaque était là
il n’y avait pas de rien ne nous prédisposait
à être autrement qu’autrement
nous n’avions rien écouté à l’école et nous avions lu tous les livres
nous entreposions nos aléas sur la table de nuit, bien à portée de main
selon l’usage que nous en avions
tu m’avais promis qu’on ne verrait plus le cadre
je t’avais promis que tout dépasserait du cadre
tu voulais des photos de moi de quand j’étais petit
je les avais déchirées depuis longtemps
j’avais détruit les preuves
retiens ton temps
retiens mon temps
nous nous laissions glisser entre les mailles de leurs filets
n’éclaboussant leurs certitudes que lorsqu’ils regardaient ailleurs
sans leur laisser le temps, ni le loisir
de faire de nous des apostats
car il y avait encore des jolies choses
j’aimais noyer tes lèvres
et tu ne
nous étions deux nous étions comme eux nous
nous ne méritions pas leur animadversion
retiens ton temps
retiens mon temps
retiens ton temps car je n’arrêterai pas
ce train qui t’emporte au levant
retiens mon temps car tu n’arrêteras pas
la gâchette à l’arrière de mon crâne
ils m’enterreront face contre terre, ils ont dit
toi
toi, tu pourrais encore
peut-être, si tu en reviens
si tu t’éclipses à travers la neige à travers le rideau le fer le
s’ils ne te voient blanc sur blanc s’ils te ratent
peut-être, tu trouveras le chemin des antithèses
et tu dégusteras un milk-shake
au bord du bleu
et tu ne seras plus
dissidente
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8. |
Transhumance Express
11:17
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Encapuchonné dans l’impulsion, je ne posais un pied à terre que par désœuvrement. Parfois, une voix me demandait si j’avais bien dormi. J’étais toujours frappé par l’insolence de la question. Cherchant mon interlocuteur, je ne voyais que des incertitudes. Je me souviens surtout de la fumée et des déchets. Mégots, salive, journaux périmés, pelures, tout le superflu bazardé sous les banquettes, les panneaux d’interdiction consternés d’impuissance. Sans doute, aux yeux à demi clos du monde, nous étions en mouvement. Sans doute, une trajectoire s’esquissait. Je ne discernais pourtant qu’une arborescence de lignes de fuite, plus illusoires les unes que les autres. Vu de l’intérieur, tout était cataleptique.
Les yeux rivés au sol, je tentai une percée. Au bout du chemin : les chiottes. Au-delà des chiottes : rien. Le sol était un écran, il s’y dessinait des implications. Ça ballottait dans ma tronche. Gravés dans nos péchés originels avec des petites lames, les verdicts s’abattaient sans scrupule inutile. Coupable. De ne pas être assez. D’avoir trop. De ne rien faire ou mal. Peu importe. Juste coupable. « Chacun portera sa croix et essaiera de la refiler au voisin ». C’est tout ce que j’avais appris à l’école. Une vieille femme se trémoussait sur sa couchette, égrainait ses dents d’un sourire vache. Sans doute espérait-elle qu’on les lui compte et qu’on les lui achète. Première apparition nette, première indulgence. « Ignore le monde », avais-je promis. Ça avait des allures de vœu pieux. Il fallait que j’aille vomir.
Parfois, nous stagnions en gare et c’était le monde figé, au-dehors, qui d’un coup semblait tout agité, débordant d’imprécision. Sous le halo blanc des néons, des formes s’affairaient à reconstruire frénétiquement ce que leurs aïeux avaient soigneusement déglingué. Lumière artificielle. Petits bureaucrates batailleurs. Hippies usés jusqu’à la moelle. Rien de neuf, tout rejoué encore et encore et depuis si longtemps que le public avait déserté le théâtre, las d’attendre que, enfin, les répétitions aboutissent à quelque chose de présentable. Les apsaras s’enivraient dans les coulisses, hilares : elles ne monteraient sur scène que lorsqu’on les en prierait. Ce n’était pas pour demain et elles le savaient fort bien. J’avais longtemps pris part à tout ça, puis un beau jour j’étais parti en claquant la porte. Personne n’avait rien remarqué.
J’avais beau essayer de voir les choses en cinémascope, rien n’y faisait. Je prenais le réel par la périphérie, m’obstinais à l’étirer par le haut et par le bas, par la gauche et par la droite. Mais les bordures noires prenaient toujours trop de place, dégoulinaient de leur obscurité entêtée, compressant tout en quelque sorte. Il n’y avait que des corps dont les têtes avaient été coupées au montage. Pas de gens, encore moins des personnages. Juste des corps interchangeables, floutés, résidus d’hommes et de femmes aux excentricités fanées. L’exotisme aussi, avait été coupé au montage. Le véritable ailleurs était ailleurs. Ou peut-être en dedans.
Toutefois, il fallait bien regarder ailleurs. C’était écrit sur tous les murs, sur tous les panneaux. Tout était en désordre alors on tournait la tête de tous côtés, et chaque fantasme assouvi ne faisait que rendre le tableau encore plus flou. On sentait bien que certains auraient aimé sauter du train en marche, mais le temps était en gare et il fallait attendre. Bras ballants, d’aucuns brûlaient leurs impatiences en allers-retours, en va-et-vient stériles. Un affront aux empêcheurs de tourner en rond, peut-être : encagés, les tigres ont au moins le privilège de tourner. Tout ce ressac humain, ça me resserrait la pensée.
« C’est comme ça qu’il faut faire ! », répétait l’homme assis en face avant de s’arracher la langue et de la jeter par terre, avec le reste. Lamentable lambeau de chair. La scène était jouée en boucle. Je n’en voulais rien savoir mais à la cent-troisième représentation, je craquai et me posai finalement en spectateur. Il se délecta de pouvoir, enfin, me bouffer la cervelle. Lui non plus n’avait pas de visage, juste une boule noire sur les épaules et de la persévérance. « Ça ne suffira jamais à faire un homme », songeai-je. Tous ces corps sans têtes, ça ne menait à rien. J’avais beau m’efforcer de rêver seul, la foule avait encore une certaine emprise.
Lorsque Dieu avait essayé de me vendre des enfants, j’avais dit non en pleurnichant. Lorsque des enfants avaient essayé de me vendre Dieu, j’avais répondu que j’en avais déjà un. Lorsque Dieu avait jeté Ses enfants sur la voie ferrée, il avait oublié de leur donner des billets. Le contrôleur n’avait aucun sens de l’humour et Ses créatures avaient écopé d’une prune. Elles paieraient encore longtemps. Jusqu’à la machine. Jusqu’au transformisme. J’étais né beaucoup trop tôt.
J’étais parti pour trouver une fleur. Fuite ou quête on n’allait pas s’arrêter à ce genre de détails. Il eut été facile de s’isoler simplement. Trop facile. Tard dans la nuit, lorsque les choses dorment et que le boucan cesse, on peut écouter les secrets, le murmure de Dieu. Mais la vraie solitude ne peut s’accomplir que dans la multitude. C’est ce qui m’avait poussé à m’embarquer, ni plus ni moins. « Ignore le monde, remplis le plein par du vide. » Harcelé par les mouches et les aboyeurs de chai, trépané par le vacarme, il fallait pourtant bien que je me rende à l’évidence. Comme les autres, je cherchais juste un truc auquel m’accrocher.
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9. |
Entre les lignes
02:04
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à demi-mot je te
glisse
rencontre-moi entre les lignes entre les
paressons
je te
je te délivrerai la langue et tu me divulgueras, tu me divulgueras oui
l’orthographe des choses qui te font
frissonner en douce
le soir, tout ce qui transpire
de tes incertitudes
nos vagues ébauchent un motif qui
de par son insistance
entame les déterminations les plus
entêtées
il faudra bien que l’arène s’accommode
de notre vertige
et sinon
nous leur adresserons des enveloppes vides
nous leur abandonnerons les nombres et nous conserverons les lettres
toutes
(les vingt-six et les grecques aussi surtout Ψ)
rencontre-moi entre les lignes entre deux
verres entre deux
ruptures
sèche tes larmes et dis-moi un câlin
mais ne prononce rien avant minuit ne me
ne me nourris que d’eau
|
Jean-Sully Ledermann + Shaomi Paris, France
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